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8 septembre 2008 1 08 /09 /septembre /2008 09:39

Dans notre promenade à travers les diverses variantes dans la représentation du thème de l'Assomption dans l'art occidental, nous allons rencontrer pour terminer une forme particulière qui ne peut se comprendre sans la référence aux apocryphes : la Vierge de l'Assomption remettant sa ceinture à st Thomas. L'arrivée de la relique de cette Ceinture dans la cathédrale de Prato, près de Florence en Italie, contribua au développement particulier de ce sujet en contexte italien, et plus particulièrement florentin.


L'épisode, en effet, est directement tiré du Livre apocryphe de Jean et rapporté dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine. Selon cette source, Thomas était le seul des Apôtres à ne pas avoir assisté aux funérailles et à l'Assomption, et il refusa bien entendu de croire ce que les autres lui rapportèrent. Le texte de la Légende Dorée, citant l'apocryphe de Jean, dit qu'alors « tomba de l'air la ceinture qui entourait la sainte Vierge; il la reçut tout entière afin qu'il comprît ainsi qu'elle était montée  tout entière au ciel ». Il faut bien entendu y voir un parallèle avec l'incrédulité de Thomas lors de la résurrection du Christ.


Il est intéressant à travers cet exemple de voir l'influence des apocryphes dans les traditions et représentations, malgré la non reconnaissance par l'Eglise de la validité de ces textes. N'oublions pas que les oeuvres religieuses, qu'elles soient commandées par des particuliers ou par des communautés religieuses, faisaient l'objet d'un contrat extrêmement précis passé avec l'artiste ; contrat dans lequel on évoquait, souvent de façon très détaillée, la façon dont les choses devaient être représentées.



Bernardo Daddi, L'Assomption de la Vierge, vers 1340 (tempera et or sur bois, fragment de retable provenant de la cathédrale de Prato, coll. R. Lehman, Metropolitan Museum, New York)


Ce fragment de retable provient de la cathédrale San Stefano de Prato, près de Florence, qui abrite depuis le XIVe s. la relique de la ceinture de la Vierge ; il témoigne des premiers aménagements liés à l'arrivée de la relique dans la cathédrale. Nous retrouvons ici une iconographie traditionnelle, fortement marquée d'influence byzantine à travers le fond d'or et le traitement du visage. La Vierge, nimbée et rayonnant d'une lumière dorée, trône dans une mandorle portée par 6 anges aux vêtements de couleurs différentes exprimant la hiérarchie céleste. Elle porte le manteau blanc, dont nous avons déjà dit qu'il était une des caractéristiques mentionnées dans les apocryphes. Tandis qu'elle tient dans la main gauche un livre à la couverture ouvragée d'orfèvrerie, sa main droite est tendue pour donner sa ceinture à Thomas, qui se tenait dans le registre inférieur, aujourd'hui perdu. La ceinture est tendue, ce qui peut sembler surprenant ; mais si on observe attentivement, on se rend compte que, dans la partie inférieure gauche, les mains tendues de l'apôtre en tiennent déjà l'autre extrémité.




Peu de temps après la réalisation de ce retable, la cathédrale verra sa chapelle de la Ceinture ( construite en 1386-1390 ) décorée de fresques d'Agnolo Gaddi sur l'histoire de la relique et la vie de la Vierge (1392-1395) ; Gaddi représenta lui-même cette scène sur le mur du fond de la chapelle, dans une composition monumentale. 1 La Ceinture se trouve toujours dans cette cathédrale et est exposée aux fidèles en diverses occasions.






Benozzo Gozzoli, Madonna della Cintola, 1450-1452 (tempera sur panneau, Pinacothèque, Vatican)


Cet autre retable a été réalisé un siècle plus tard par Benozzo Gozzoli pour l'église San Fortunato de Montefalco, en Ombrie, et offert en 1848 au pape Pie IX, d'où le fait qu'il se trouve aujourd'hui dans les collections du Vatican.

La scène occupe la partie centrale, tandis que des figures de saints viennent orner les fûts des pilastres latéraux et que des scènes de la vie de la Vierge prennent place en bas sur la prédelle ; la dernière scène d'ailleurs, en bas à droite, représente les funérailles de la Vierge : le sujet devient ici secondaire par rapport à l'épisode de la remise de la Ceinture.




Sur le fond d'or d'inspiration byzantine, la grande composition n'est plus divisée en deux registres mais n'en forme qu'un seul. La Vierge s'élève parmi les anges au-dessus du tombeau en forme de sarcophage rempli de fleurs ; les anges forment autour d'elle un demi-cercle évoquant l'espace céleste et on retrouve au premier plan deux anges musiciens - l'un jouant du tambourin à gauche, l'autre du luth à droite. Les rayons situés sous les nuages, incisés dans le bois, apportent un aspect dynamique en suggérant l'élévation. La Vierge est assise non pas sur un trône, mais directement sur les nuages qui s'étagent pour lui ménager un siège. Elle est vêtue du manteau bleu sombre bordé d'or et de la robe rouge évoquant le triomphe sur la mort et la majesté. Dans un geste délicat, elle tend de ses deux mains sa ceinture à Thomas, qui est agenouillé à ses pieds dans la partie inférieure gauche ; le geste de l'Apôtre répond à celui de la Vierge. Leurs regards sont plongés l'un dans l'autre. Contrairement à la sévérité et à l'aspect hiératique de la représentation de Daddi, on remarque ici la grande douceur qui se dégage de la scène, en particulier du visage de la Vierge. On retrouve dans cette oeuvre l'influence de Fra Angelico, dont Gozzoli fut l'élève et qu'il quitta en 1449 justement pour venir travailler à Montefalco.







Benozzo Gozzoli, Assomption de la Vierge, 1484 (fresque provenant de la chapelle de Madonna della Tosse, Bibliothèque Communale, Castelfiorentino)

Gozzoli a à nouveau traité le sujet de la Ceinture dans des fresques commandées par le prieur de Santa Maria de Castelnuovo Val d'Elsa pour la chapelle de la Madonna della Tosse ; menacées de destruction, les fresques ont été démontées dans les années 1970, restaurées et placées dans la Bibliothèque Communale de Castelfiorentino. Le mur du fond s'orne d'une fresque figurant la Vierge allaitant ( Maria Lactans ) dans une composition formant un retable en trompe l'oeil. C'est sur le mur latéral de droite que se trouve la représentation de l'Assomption avec la remise de la Ceinture ; en face, Gozzoli a représenté les funérailles de la Vierge, en présence du Christ 2.




Ce qui est intéressant ici, c'est que deux scènes en principe séparées dans le temps sont réunies en une seule : l'Assomption de la Vierge en présence des Apôtres, réunis dans la partie basse autour du tombeau vide selon un modèle que nous avons déjà rencontré ; et l'épisode de la remise de la Ceinture à Thomas, qui se trouve, un peu maladroitement, dans un registre intermédiaire ménagé par une colline. On retrouve pour la figure de la Vierge entourée par les anges un certain nombre de points communs avec la Madonna della Cintola, comme le siège formé par des nuages, la position de la tête de la Vierge ou encore sa façon de tenir la ceinture. Mais on note également des différences de traitement. Ici, la Vierge est vêtue du manteau blanc. La composition formée par les anges est différente, s'adaptant à l'espace formé par l'arc ; plus d'anges musiciens, mais deux anges aux bras croisés sur la poitrine - à remarquer à gauche, au-dessus de Thomas, un ange qui semble le regarder d'un air sévère et réprobateur. Thomas attrape la ceinture de sa seule main gauche, mais il est étonnant de voir que les plis de son manteau flottant sont absolument identiques à ce que l'on trouve sur la retable de la Madonna della Cintola ; nul doute que l'artiste a réutilisé pour ces fresques des éléments de sa première composition.





Jean Baleison, L'Assomption, vers 1490 (fresque, chevet de ND des Fontaines, La Brigue)

Le sujet se retrouve également dans la chapelle Notre-Dame des Fontaines à La Brigue, dans les Alpes-Maritimes. L'Assomption, qui occupe le choeur, a été peinte par Jean Baleison vers 1460. L'ensemble des fresques de cette chapelle, réalisées en deux campagnes, est consacré à la fin de la vie de la Vierge.





Dans le registre supérieur, la Vierge se tient debout, souriante face au spectateur, les mains jointes, vêtue du manteau bleu sombre et de la robe rouge. Elle s'élève dans une mandorle portée par quatre anges, sur un fond d'or ornementé de pochoirs ; de chaque côté se tiennent également des anges musiciens ( luth, vielle, harpe ). Contrairement à ce que l'on a pu voir chez les artistes précédents, la Vierge ne regarde pas Thomas, qui est agenouillé en bas à gauche dans un paysage montagneux. C'est que la scène se déroule à un moment différent : l'Apôtre tient déjà la ceinture entre ses mains tandis que la Vierge s'élève dans le ciel.




On a ici une représentation plus naïve, parfois maladroite et même archaïque par certains aspects, qui laisse également une large part à l'aspect décoratif. Mais elle montre la diffusion de ce sujet à partir de la région de Florence.






Francesco Granacci, Assomption de la Vierge, 1517-1519 (huile sur panneau, Ringling Museum of Art, Sarasota, Floride)


Pour terminer, une oeuvre de la Renaissance, de Francesco Granacci, réalisée pour la chapelle des Médicis à San Piero Maggiore, à Florence. Elle est célèbre pour avoir été commentée par Vasari et est totalement différente de ce que nous avons pu voir précédemment tout en reprenant des éléments iconographiques traditionnels.

La Vierge, assise sur des nuages et soutenue par des chérubins, s'élève au-dessus du tombeau en forme de sarcophage à l'antique rempli de roses ; deux anges soutiennent derrière elle un demi-cercle de rayons serpentiformes qui n'est pas sans évoquer les monstrances de cette époque et remplace la mandorle des époques précédentes. Thomas est agenouillé légèrement à gauche du tombeau, sous la figure de la Vierge ; il ne regarde pas celle-ci, mais la ceinture qu'elle est en train de lui remettre et qu'il s'apprête à saisir de sa main gauche. Vasari a fait remarquer l'extrême douceur du visage de la Vierge, vêtue de la robe rouge et du manteau bleu. Le mouvement et la position de Thomas, le traitement monumental des figures et le jeu des drapés sont remarquables, faisant rapprocher cette représentation des oeuvres de Michel Ange, un amie de Granacci.

Quatre personnages assistent à la scène : à gauche, le Christ ressuscité et st Barthélémy ; à droite, st Jean tenant son livre et st Laurent ( dans son vêtement de diacre, le grill de son martyre à ses pieds ) puisque la peinture a été réalisée pour Laurent II de Médicis. A noter que les regards convergent tous vers la Vierge, sauf celui de st Laurent, qui est tourné vers st Jean. Jean est ainsi identifié comme celui qui a rapporté l'événement par le saint patron symbolisant le commanditaire, Laurent.



Notes :

1- Voir la chapelle de la Ceinture et la fresque de Gaddi dans la galerie d'images des Horizons des Arts.
2- Une vue d'ensemble de la chapelle et la fresque des funérailles de la Vierge sont disponibles dans la galerie d'images des Horizons des Arts.

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